
Aujourd’hui nous avons José Mourinho, hier ils avaient Brian Clough. Personnage clivant, toujours à contre-courant, grande gueule, agaçant et attachant, létal dans la surface comme face à ses dirigeants, Brian Clough a fasciné et transfiguré le paysage footballistique anglais. Retour sur la vie d’une légende qui n’a laissé personne indifférent et qui aura marqué à jamais le football de son époque.
Un attaquant talentueux à la fin de carrière tragique
Brian Howard Clough naît le 21 mars 1935 à Middlesbrough dans un milieu modeste. Cadet d’une famille de huit enfants, il se passionne très vite pour le football et notamment pour l’équipe qui deviendra son club de cœur : Derby County. Rapidement, il cède à l’appel du ballon et est vite repéré par Middlesbrough, alors en Championship (deuxième division anglaise). Véritable talent en devenir, il évolue avec les jeunes de Boro’ entre 1951 et 1953 avant d’aller davantage s’aguerrir à Billingham Synthonia de 1953 à 1955. À l’issue de son passage dans le club de Norton, il revient dans le club de sa ville natale pour y débuter sa carrière professionnelle en 1955 à l’âge de vingt ans.
Prolifique, il inscrira un total de 202 buts en 222 matches entre 1952 et 1961. Durant ces neuf années, alors qu’il évolue en deuxième division, il connaîtra ses deux seules sélections avec l’Angleterre en disputant un match contre le Pays de Galles et un autre contre la Suède en 1959. Il sera également trois saisons de suite meilleur buteur de son club sur cette période mais surtout il rencontrera et évoluera six ans aux côtés de celui qui sera son ami le plus proche et son bras droit lors de ses succès à venir en tant qu’entraineur : le gardien de but Peter Taylor.

Son passage professionnel à Middlesbrough marque les prémices de ce qui fera plus tard sa légende. Efficace sur le terrain et se mettant rapidement en avant comme le demande son poste, il hérite tout naturellement du brassard de capitaine de Middlesbrough. Néanmoins, c’est cette même faculté à se mettre en avant doublé d’un égo surdimensionné qui marquera les premiers émois de son personnage. Se plaignant du manque d’ambition de son club et contesté par son vestiaire, il finit par quitter Middlesbrough pour faire les beaux jours de Sunderland. Pour un montant de 55.000 livres sterling (somme considérable à cette époque), il s’engage, le 1er juillet 1961, en faveur des rouges et blancs, évoluant également en D2 anglaise, mais voués à la montée dans l’élite. Son passage à Sunderland sera aussi brillant que tragique.
Un début d’aventure canon et une pluie de buts plus tard, nous nous retrouvons au boxing day de 1962. Le 26 décembre, Cloughie joue un match à domicile au Roker Park (stade de Sunderland jusqu’en 1997) contre Bury. Ce match marque une quasi-fin de carrière pour l’avant-centre anglais qui se blesse gravement au genou. Une blessure qui l’empêchera de marcher pendant 6 mois et ne lui permettra pas de retrouver les terrains avant un long moment. Sunderland ayant réussi, entre-temps, à monter en première division anglaise, ce n’est que deux ans après sa grave blessure qu’il rejouera pour les rouges et blancs. Trois matchs en première division seulement avant que Clough ne doive renoncer à sa carrière professionnelle. Il n’a que vingt-neuf ans à l’époque, âge de la maturité pour un joueur de foot.

La carrière de l’attaquant anglais est certes prolifique en deuxième division, mais il n’aura jamais vraiment eu l’opportunité de mater les défenses de l’élite. Ne voulant pas en rester sur cette fin amère et en raison de son amour du football bien trop prononcé, Clough décide alors de devenir entraîneur et passe ses diplômes. La légende du football anglais est en marche. Si la carrière de joueur professionnel de Cloughie est assez méconnue, sa carrière d’entraîneur, elle, fait partie de la légende. Entre ses exploits sportifs à la tête de ses différentes équipes, ses déclarations/punchlines célèbres et sa rivalité avec Don Revie, la carrière de coach Clough oscille entre le remarquable et le controversé.
Ascension fulgurante et premiers exploits notoires
Un diplôme en poche et une petite expérience en tant que coach des jeunes de Sunderland à son actif, Brian Clough peut débuter sa carrière d’entraîneur en octobre 1965 en prenant en main Hartlepool United, une équipe de quatrième division anglaise. À cette époque, Hartlepool lutte pour son maintien en D4 et accompagné de son fidèle ami et adjoint Peter Taylor, Clough se retrouve à tout faire. Stratège, minutieux et organisé, il assume plusieurs rôles : celui de dirigeant, notamment en payant lui-même certains de ses joueurs, ainsi que des rôles qui aujourd’hui sont tenus par un staff comme l’entretien de la pelouse ou encore l’entretien du vestiaire mais aussi celui de chauffeur de bus de l’équipe.
À 30 ans, Cloughie se trouve être le coach le plus jeune de la ligue. Souvent ramené à son jeune âge à ses débuts en 1965, il déclarera avec aplomb : «L’âge ne compte pas, je serai meilleur que les 500 entraîneurs qui se sont fait virer depuis la guerre. S’ils avaient connu le foot, ils n’auraient pas perdu leur boulot». Pour sa première saison en tant que technicien, Brian Clough hissera son équipe à une honorable huitième place. Sur cette même lancée, la saison suivante sera meilleure encore et Hartlepool finira quatrième de son championnat. Ces deux saisons lui ayant permis de se faire un nom en tant que technicien et sa carrière prenant de plus en plus d’ampleur, Brian Clough est contacté par son club de cœur : Derby County, qui est alors en Championship.

Derby County est l’un des deux clubs que Clough marquera à jamais de son empreinte. Arrivé en 1967 au club, il va transfigurer le club. Que ce soit dans la manière de jouer, la manière d’aborder les matchs, la gestion des évènements et de l’effervescence qui s’empare petit à petit de la ville au fil des exploits, il y aura eu un avant et un après Clough. à son arrivée au club, Cloughie fait un grand ménage : sur les joueurs qu’il trouve au club, il n’en conserve que quatre qui formeront l’ossature de l’équipe et se délaisse de onze joueurs. Il se débarrassera également du secrétaire du club, du responsable de l’éclairage et du responsable du terrain.
Il opère ainsi une « opération reconstruction » en faisant une grande lessive du club et en recrutant ceux qui seront bientôt ses attaquants stars : John O’Hare et Alan Hinton. Le club mettra une saison à devenir cette mécanique huilée qui surfera sur l’Angleterre. La saison 1967-1968 de Derby se soldera par une dix-huitième place en championship, une élimination au troisième tour de la Coupe d’Angleterre et une demi-finale en Coupe de la Ligue, à chaque fois battue par l’équipe du moment de l’élite anglaise : le Leeds United de Don Revie.
La saison suivante sera celle de la consécration pour l’ex-attaquant anglais : la saison 1968-1969 voit le duo Clough-Taylor remporter la Championship et monter en première division anglaise avec Derby County. L’exercice 1969-1970 de Cloughie le verra atteindre la quatrième place pour sa première dans l’élite avec les rams. Cette quatrième place aurait dû leur assurer une qualification en coupe de l’UEFA (C3) mais pour cause d’irrégularité financière, Derby County sera suspendu et Clough devra remettre ses premières nuits européennes à plus tard. La saison suivante est un peu plus décevante et les hommes de Clough ne s’adjugent que la neuvième place.
Brian Clough réalise alors un nouvel exploit puisque la saison 1971-1972 verra le fantasque coach anglais remporter la première division aux commandes de Derby et ainsi se qualifier pour l’édition suivante de la Coupe d’Europe des Clubs Champions (C1). Auréolés de leur titre de champion d’Angleterre, Clough et Taylor iront jusqu’en demi-finale de la C1, éliminés par la Juventus de Turin soupçonnée de corruption arbitrale sur cette rencontre. Il s’agit là du meilleur parcours en coupe d’europe pour Derby County et ce, en dépit d’un exercice en demi-teinte sur la scène nationale.

Malgré tout, et bien que leur présence au club ait permis au club du Derbyshire de monter en première division anglaise et d’y jouer les premiers rôles, le duo Taylor-Clough est en froid avec le président du club et est obligé de démissionner à l’issue de la saison 1972-1973.
Des échecs aux triomphes historiques
Pour l’ex-attaquant et l’ex-gardien de but, la saison 1973-1974 est « la saison d’après ». Forts de leurs succès récents, ils retrouvent rapidement un banc : celui de Brighton and Hove Albion, un club de troisième division. Ils ne resteront au club qu’une seule saison et ne pourront pas faire mieux qu’une dix-neuvième place au classement. Malgré cela, Brian Clough est contacté par un club et pas n’importe lequel : Leeds United, le champion d’Angleterre en titre. Leeds est critiqué malgré ses succès. Pour cause ? Un kick and rush poussé à l’extrême, des simulations récurrentes, des fautes grossières et quasiment toutes impunies. La preuve : le premier qui critiquera (avec virulence) le Leeds United de Don Revie n’est autre que… Brian Clough.
Il accepte quand même de succéder à Don Revie, considéré alors comme l’un des meilleurs entraîneurs d’europe à cette époque et qui reprendra en main la sélection anglaise, alors qu’il déteste le club, ses joueurs et la ville dans son ensemble. Son passage à Leeds vire à la débâcle en l’absence de son adjoint de toujours : pas écouté par son vestiaire, en froid constant avec le bord exécutif du club et haï de tous, il ne restera au poste que 44 jours. Un bilan catastrophique dont le détail est sans appel : une victoire un nul et trois défaites dont le Charity Shield aux dépens du Liverpool de Bill Shankly, qu’il admire énormément. Limogé, Cloughie déclare : «C’est un jour terrible… pour Leeds».

Après une saison loin des bancs de touche, le coach anglais reprend du service. Il reforme sa paire si efficace avec Peter Taylor et pose ses valises au centre de l’Angleterre à Nottingham. Ensemble, ils vont reprendre lors de la saison 1975-1976 le club de la ville, Nottingham Forest, qui lutte pour son maintien en deuxième division. Cette saison se soldera par une huitième place pour le duo de coaches. Dans la continuité de cette bonne saison, les deux hommes hissent Nottingham à la troisième place de championship la saison suivante, synonyme de montée en première division. Nous nous retrouvons désormais à la saison 1977-1978. Pour la saison de son retour dans l’élite, Nottingham va tout simplement remporter le championnat (à ce jour le seul titre de leur histoire en première division anglaise) en détrônant Liverpool et gagnera dans le même élan la coupe de la ligue.
La saison suivante est faste pour les reds de Clough : elle commence par une victoire lors du Charity Shield remporté contre Ipswich Town. Au cours de la saison ils remportent la coupe de la ligue mais surtout Forest découvre la coupe d’europe : un parcours parfait qui se solde par une victoire finale en battant le club suédois de Malmö (et en éliminant sur sa route le tenant du titre Liverpool). L’exercice 1979-1980 commence par une victoire en supercoupe de l’UEFA contre le FC Barcelone (2-1 sur l’ensemble des deux matchs) et finit par voir Brian Clough réaliser un improbable back to back en battant Hambourg en finale de C1. Lors de la décennie qui a suivi cet âge d’or pour Forest, Brian Clough parviendra à toujours maintenir Nottingham dans la première moitié de tableau.

Durant cette même décennie, le club atteindra les demi-finales de la coupe de l’UEFA 1983-1984 étant éliminé par Anderlecht. Lors de la saison 1987-1988, le club finira troisième de la première division et gagnera une nouvelle coupe de la ligue la saison suivante. L’histoire d’amour entre Cloughie et Forest prend fin lors de la saison 1992-1993. Son âge avancé et ses troubles dus à l’alcoolisme l’emporteront à soixante-neuf ans le 20 septembre 2004.
Profil d’une légende
Joueur, Brian Clough était un attaquant en avance sur son temps. A l’heure où le kick and rush bat son plein et dans une époque où l’avant-centre est censé être une masse physique bon de la tête sans forcément réfléchir dans la surface, Clough se distinguait par son sens de l’organisation du jeu et son intelligence. Loin d’être impressionnant physiquement, son sens du placement et sa finition aiguisée ont fait de lui un finisseur hors-pair. Adepte de belles actions au détriment du ballon en cloche traditionnel de l’époque, cela s’en ressentira par la suite dans sa manière de faire jouer ses équipes une fois sur le banc en tant que technicien.
L’entraîneur lui était aux antipodes de l’époque : boudant les règles de bonne conduite de son temps et farouche opposant du kick and rush, Clough révolutionne le football anglais dans plusieurs domaines. Sur le terrain, son approche diffère, intrigue, fascine mais surtout allie le beau à l’efficace. Les équipes de Clough pratiquaient un jeu au sol fait de passes courtes afin d’alerter les ailiers pour ensuite déborder puis centrer. En dehors des terrains, Clough va également révolutionner le scouting et va amener de nouvelles méthodes de travail à l’entraînement. Enfin, dans sa manière de manager son effectif, il a apporté cette proximité joueur-entraîneur qui n’était pas courante du temps où il faisait ses débuts en tant que coach.

Enfin ce qui distinguait Clough, c’était bien évidemment sa grande gueule. Une grande gueule qui dérange mais qui gagne. Une grande gueule qui s’est fait un nom au point de se faire connaître aux oreilles du grand Mohamed Ali, une grande gueule comme on en fait plus aujourd’hui (à l’exception de José Mourinho) avec un égo qui n’avait d’égal que le prestige de ses performances en tant que manager. Paradoxalement, cette même grande gueule est aussi décrite comme un homme qui n’oublie pas ses racines et ses semblables, en laissant entrer gratuitement les mineurs au stade les jours de grève par exemple. Un personnage clivant, un des premiers héros du peuple d’après-guerre, un homme singulier, aux exploits irréalisables à l’heure où vous lisez ceci. Mais avant tout, une icône qui restera à jamais comme l’un des plus grands coaches de sa nation (si ce n’est le plus grand) et le précurseur du football «spectacle» outre-manche.
Abdoulaye D.