
Pour la première fois sous l’ère Abramovitch, Chelsea fait pleinement parler les qualités de son centre de formation. Et si c’étaient là, les débuts d’un projet ultra prometteur ?
L’été dernier fut le témoin d’un épisode mouvementé du côté de Londres. Le départ de Maurizio Sarri a d’abord divisé l’opinion des blues. Le feuilleton Eden Hazard a mis un coup au cœur aux supporteurs malheureux de voir leur vedette se rapprocher de la porte de sortie qui menait au Réal Madrid. De plus, Chelsea faisant l’objet d’une interdiction de Mercato, ce départ pointait le bout de son nez au pire moment. De quoi nourrir l’inquiétude de blues qui voyaient s’éloigner non seulement un coach dont la première saison fut prometteuse (troisième place synonyme de Ligue des Champions, victoire en Europe League, un SarriBall de plus en plus imprégné,…) mais également, et surtout son joueur clé, Éden Hazard, dont la dépendance fut flagrante au fil des saisons, au moment où aucun transfert ne pouvait être effectué. Résultat : c’est sur la jeunesse que devra, pour la première fois, compter le club Londonien qui flirte (ou flirtait) avec la crise.
Frank Lampard, le premier gros coup
Pour répondre aux doutes éveillés par le feuilleton animé de l’été, le board de Chelsea décide de nommer nul autre que Frank Lampard au poste de Manager, accompagné par son staff méticuleusement choisi : à ses côtés, on compte Jody Moris (joueur de Chelsea de 1996 à 2003, puis entraîneur des jeunes qu’il mène au quadruplé lors de la saison 2017-2018), Joe Edwards (entraîneur des jeunes depuis 2004) ou encore Eddie Newton (joueur de Chelsea de 1990 à 1999, puis entraîneur des jeunes de 2003 à 2008 avant d’être adjoint depuis 2012). Un staff composé d’hommes de la maison, ayant tous les capacités nécessaires pour élever la jeunesse et la gérer aux côtés de Frank Lampard qui lui ne vit que sa deuxième saison en tant que coach après sa première expérience plus que satisfaisante chez les Rams de Derby County. Et comme si ça n’était pas suffisant, Peter Cech décide de mettre fin à sa carrière après sa dernière saison chez les Gunners pour endosser la tunique du directeur sportif, une cerise sur le gâteau. La peur laisse la place à l’espoir et les réactions positives se font entendre parmi les fans.

Mieux encore, si la communication entre Maurizio Sarri et Roman Abramovitch, par l’intermédiaire de Gianfranco Zola (adjoint de Sarri) et Marina Granovskaia (bras droit de Abramovitch) posait quelques problèmes tout au long du mandat de l’entraîneur italien, aujourd’hui, la certitude est de mise quant à la bonne entente entre le nouveau staff des blues et les dirigeants. Mais même si la nomination de Frank Lampard amenait des promesses positives après une période d’incertitude, son inexpérience ainsi que celle des jeunes joueurs obligeaient le public à se demander si le choix du staff était digne du chantier qui faisait face aux blues. En effet, comment passer d’un effectif dirigé par un coach confirmé en la personne de Maurizio Sarri qui comptait dans ses rangs un Éden Hazard qui a réalisé sa meilleure saison à Chelsea lors de l’exercice précédent (21 buts et 17 passes décisives TCC), à un effectif pleinement rajeuni composé de joueurs qui n’ont encore rien prouvé, mené par un entraîneur inexpérimenté ? Seront-ils au niveau ? Si oui, combien de temps ?
Jeunesse et avantages
Pour répondre à ces questions, quoi de mieux qu’une pré-saison durant laquelle les matches amicaux permettent d’établir petit à petit les plans de ce que devrait être le Chelsea version Lampard. Les six rencontres de préparations (notamment contre le FC Barcelone ou encore Mönchengladbach) ont laissé apparaître une approche tactique fortement inspirée par celles de José Mourinho et de Carlo Ancelotti (les deux entraîneurs qui ont le plus marqué Lampard pendant sa carrière de joueur) : son dispositif est variable, allant du 4-4-2 losange au 4-3-3 en passant par le 4-2-3-1 ou encore le 3-4-3. Finalement le 4-2-3-1 et le 3-4-3 furent les dispositifs principaux et se sont révélés efficaces et prometteurs, donnant satisfaction aux observateurs, surtout aux nombreux amoureux de la légende anglaise qui croient aveuglément en elle.
De plus, Frankie reçoit directement le soutien (logique) de la part des fans blues étant donné le statut de légende qu’il possède du côté de Fulham (le quartier résidentiel du club). Et, à l’image d’un Zidane qui n’avait jamais entraîné au haut niveau avant de gagner trois LDC consécutives mais qui avait obtenu le respect du vestiaire dès le premier instant qui a marqué son arrivée, Lampard et son aura naturelle obtiennent les faveurs d’un groupe composé d’une part de jeunes enchantés à l’idée d’être guidés par un ex-joueur de sa trempe, d’autre part d’hommes plus expérimentés (Azpilicueta, Jorginho, Willian, Kante…) qui reconnaissent volontiers les accomplissements de leur nouveau meneur et qui dès lors lui accordent naturellement un profond respect. De ce fait, on sent un enthousiasme opportun de certains, et ce même dans les tâches les plus ingrates. On pense à Willian qui, sous Sarri, montrait parfois une attitude totalement désinvolte lorsque venait l’heure de subir le jeu adverse ou d’effectuer les tâches défensives, mais qui aujourd’hui s’applique lorsqu’il s’agit de faire des efforts conséquents offensivement ou défensivement. Jorginho, soldat attitré de Maurizio Sarri, sur lequel planaient quelques doutes quant à sa capacité à évoluer sous un autre coach tout en gardant le même rendement et le même culot dans la prise de responsabilités, semble aujourd’hui avoir passé un palier, et sa constance couplée à son entente sur le terrain avec Kovacic font de lui un des joueurs (si pas LE joueur) les plus importants du système « lampardien », s’érigeant même en vice-capitaine du navire.
Aussi, la jeunesse de Chelsea a plusieurs fois dominé les débats dans les compétitions nationales, notamment en FA Youth Cup où ils ont été les vainqueurs en 2012, 2014, 15, 16, 17 et 18, mais également dans les compétitions européennes comme la Youth League, qu’ils ont remporté en 2015 et 2016. Le tournoi de Toulon est aussi une compétition dans laquelle quelques-uns d’entre eux ont excellé avec l’équipe nationale, d’autres ont même remporté la Coupe du Monde u20 ou l’Euro u19… bref, le potentiel est réel. Loftus-Cheek, Reece James, Mason Mount, Tomori, Abraham, Hudson-Odoi, ou encore Ola Aina (prêté puis acheté 10M par le Torino), Ampadu (prêté au Leipzig) ont tous fait partie à un moment donné d’une de ces générations prolifiques, de quoi en tirer des points de comparaison avec la Masia et le Barca construit par Pep Guardiola autour de Messi et de jeunes joueurs issus du centre de formation.
Bien sûr, même si le football nous réserve toujours des surprises, personne ne peut affirmer aujourd’hui qu’un de ces jeunes joueurs cités précédemment a le niveau d’un Iniesta ou d’un Busquets mais il est bon de rappeler que pendant son mandat, quand Guardiola avait décidé de ramener Gerard Pique de Manchester United, de mettre Ronaldinho, Eto’o ou encore Yaya Toure sur la liste des indésirables pour faire éclore Busquets, Iniesta, Bojan Krkić, Pedro et tous ceux qui ont pu faire partie de la génération dorée du Barca, quand cet homme aux idées de génie, sans une grande expérience d’entraîneur est arrivé et a imposé ses conditions presque folles, il a essuyé énormément de critiques avant que les résultats ne fassent taire les diverses opinions. Piqué ne laissait pas paraître le potentiel du défenseur qu’il est aujourd’hui, Busquets n’était pas populaire, Iniesta non plus… mais ce qui leur a permis d’atteindre ce niveau, c’est la confiance placée en eux par Pep parce qu’il les connaissait bien (il les avait entraînés chez les jeunes) et décelait en eux des capacités que d’autres ne voyaient pas forcément mais surtout des qualités qui étaient totalement en adéquation avec la philosophie que le coach espagnol voulait inculquer. Chez les jeunes, ils avaient tout gagné ensemble, un peu comme la classe biberon de Chelsea.
On se demande alors pourquoi ne gagneraient-ils pas tout ensemble chez les professionnels, étant menés par un staff qui les connaît sur le bout des doigts, par un coach qui leur accorde une confiance énorme et qui par sa simple présence rassure. Les signaux sont donc bons. En résumé, on peut trouver de nombreux avantages liés au départ de Hazard et de Sarri, et à l’interdiction de transfert : La jeunesse au centre du projet (et la préparation à l’avenir en construisant un effectif solide pour le futur en remplacement de la génération 2012 : Hazard, Azpilicueta, etc.), la facilité de communication entre les dirigeants et le staff, le respect des anciens du vestiaire à l’égard de Frank Lampard mais aussi l’indulgence des fans par rapport aux résultats, au vu des inconvénients que peut apporter un bannissement du mercato surtout après le départ du meilleur joueur, et au vu du statut au club de leur manager.
Les premiers résultats
Depuis quelques saisons, les supporteurs sont agacés par le recrutement opéré par Roman Abramovitch et Marina Granovskaia. Alors quand tout le monde a eu vent de la volonté de départ de Éden Hazard, qu’une interdiction de transfert pendait au nez du club, mais qu’en plus de cela, le board avait décidé de ne pas faire appel et d’accepter la sanction… l’ambiance fut morose du côté de Londres. Après une pré-saison prometteuse et pleine d’espoirs, la première défaite en championnat face à Manchester United lors de la première journée, une véritable gifle 4-0, concédée par les hommes de Lampard portait un coup sur la tête. Pourtant, Chelsea s’était montré totalement supérieur au niveau purement footballistique, et ce malgré le résultat final peu fameux. Mais la question de la jeunesse prête ou non revenait sur la table : en effet, même si les principes de jeu affichés, la prestation très satisfaisante de Mason Mount ou les occasions créées (notamment les deux tentatives de Tammy Abraham qui se sont écrasées sur le poteau) furent de bonne augure pour la suite, est-ce que ces jeunes-là étaient rodés pour assumer la pression et les exigences mentales, techniques et physiques que réclame la Premier League, et ce pendant dix longs mois ? La saison s’annonçait plus difficile que ce qu’on aurait pu penser.
Mais aujourd’hui, les résultats de Frank Lampard sont extrêmement positifs et contredisent toutes les inquiétudes nées après le feuilleton de l’été et la défaite contre les Red Devils : après 11 journées, Chelsea est quatrième en Premier League avec 23 points (7v, 2n, 2d), autant que Leicester troisième, et à deux petits points du tenant du titre Manchester City, deuxième. En C1, les blues, deuxièmes de leur poule après 4 journées (2v, 1n, 1d) comptabilisent 7 points (comme Valence, troisième et l’Ajax, actuel leader) et possèdent encore toutes les chances de qualification au tour suivant. Les cadres du groupe que sont Jorginho, Kepa, Azpilicueta ou Willian montent en puissance et ne nient pas leurs responsabilités, et les jeunes semblent apprendre et s’accommoder assez vite. Abraham et Mason Mount sont titulaires, Tomori aussi, Hudson-Odoi reprend du rythme, Reece James revient de blessure et on découvre même d’autres jeunes comme Billy Gilmour, sans oublier Lotfus-Cheek actuellement blessé mais sûrement le plus fort et le plus expérimenté de tous ces jeunes… bref, l’éclosion de ces talents et leurs performances mettent la pression sur les aînés qui donnent le maximum et se dépassent, à l’image d’un Kovacic, décrié sous Sarri malgré ses qualités (qu’il n’arrivait pas à mettre en lumière), qui aujourd’hui livre des prestations de classe mondiale et constitue avec Jorginho un duo ultra efficace au milieu, faisant même douter certains sur la nécessité de titulariser Kante lorsqu’il sera à 100%.
Chelsea est en marche (en donne l’impression, en tout cas) vers l’élévation avec un Frank Lampard à la tête d’un groupe soudée et bien huilée. Et si la première année ne sera probablement pas celle de tous les succès, notamment à cause du manque d’expérience comme l’a démontré le match face à Sheffield United lors de la quatrième journée de PL (Chelsea, à domicile, menait 2-0 avant de finalement condéder le nul à la 89e), on peut penser qu’avec deux ou trois ajustements adéquats dans l’effectif sur le long terme, sans toucher aux fondations, le club deviendra un modèle de formation, comme l’Ajax, et une puissance européenne, comme Manchester City ou Liverpool actuellement. Lampard grandit en même temps que son groupe et ne met pas de côtés ses principes, même dans la difficulté : après la défaite à Manchester, il a continué à proposer un jeu offensif, allant même jusqu’à prendre énormément de risques dans le jeu. Au final Chelsea est la troisième meilleure attaque du championnat (25 buts comme Liverpool) derrière City et Leicester. Défensivement, il y a encore quelques ajustements à faire afin de solidifier le bloc mais la dimension que Tomori est actuellement en train de prendre, ainsi que la montée en puissance de Kurt Zouma, en dessous de tout face à Manchester United puis presque homme du match dans le match aller qui opposait les blues à l’Ajax en C1 (sûrement le match le plus abouti de Chelsea jusqu’ici, score final : 0-1), confirment qu’il y a une réelle progression de chaque joueur au fil de la saison, dans la gestion d’un match et surtout dans le jeu, mais aussi mentalement et physiquement.
L’avenir des Blues
En football, l’avenir est toujours incertain. Toutefois, les résultats obtenus par Lampard ont un goût encore plus divin quand on sait que son meilleur jeune Ruben Loftus-Cheek n’est pas encore prêt après sa rupture du tendon d’Achille, et que son meilleur joueur N’Golo Kante n’est pas encore revenu à 100% de ses moyens non plus. Rudiger est encore blessé et Emerson revient petit à petit mais bien, et profite d’une bonne gestion du temps de jeu de son staff. Finalement, cette équipe interdite de transfert, connaît des problèmes de luxe et chacun des postes est doublé : Michy Batshuayi et Tammy Abraham se disputent la pointe tandis que Giroud n’est parfois pas repris dans les 18. Sur les ailes, Pulisic, Willian et Hudson-Odoi performent pendant que Pedro manque un peu de temps de jeu. Au milieu, Mason Mount est la révélation, à côté de Kovacic et Jorginho pour l’instant indéboulonnables, tandis que Ross Barkley, qui ne fait pas l’unanimité, reste quand même un profil très intéressant , et que Kante et Loftus-Cheek se remettent petit à petit. Marcos Alonso et Azpilicueta sont les plus expérimentés au niveau des latéraux, mais manquent un peu de modernité et sont concurrencés par Emerson et Reece James, beaucoup plus rapides, et avec des qualités plus en adéquation avec l’idée du latéral moderne, mais surtout avec le schéma et le style de jeu de Frank Lampard. En défense centrale, Tomori montre pourquoi il était capitaine chez les jeunes, Zouma progresse et s’installe pendant que Christensen qui possède d’énormes qualités et Antonio Rudiger, le supposé meilleur défenseur de l’équipe, complètent l’étendue de la charnière.

On peut donc se poser les questions suivantes : ou s’arrêtera le Chelsea de Lampard ? Quelles sont les limites de cette jeunesse ? Quels ajustements seront nécessaires afin de garder un équilibre sur le long terme ? Alors que le club pensait se noyer après l’annonce d’interdiction de transferts, on se rend compte qu’il possède un avenir plein de promesses, et qu’il est encore loin d’avoir atteint ses limites. Le futur lèvera les rideaux sur nos chers blues, qui commencent peut-être un nouveau volet de l’histoire du club sous l’ère Abramovitch, avec la possible mise en avant du centre de formation au détriment de périodes de mercato onéreuses.
Un avis de Costalinho
(retranscrit par Alexander Anderson)