
« Le football n’est qu’un sport ou des gens courent après un ballon. » est probablement une des affirmations les plus controversées du sport. Au Brésil, les récentes émeutes liées à la relégation du club mythique qu’est Cruzeiro ont encore démontré l’impact du football sur toute une population. Et pour cause, c’est la toute première relégation de l’histoire du club qui est survenue il y a quelques jours.
Dimanche 8 décembre 2019, à Belo Horizonte. Il est 15h00 (heure locale) quand monsieur Marcelo de Lima Henrique s’apprête à siffler le coup d’envoi. Dans le stade Mineirão qui peut accueillir environ 62.000 personnes, la tension est palpable, et il y a de quoi : en effet, Cruzeiro, club légendaire par lequel sont passés nuls autres que Dida, Maicon mais surtout Rivaldo et Ronaldo joue son maintien contre le troisième du championnat. Pire, si la victoire est impérative, ils doivent également compter sur une défaite de Ceará, 16e, qui se déplace chez Botafogo. Fondée en 1921, il y a bientôt 99 ans, jamais Les Célestes (Os Celestes) n’avaient connu l’odeur de la division 2. Mais comment Os Celestes, champions pour la dernière fois en 2014, en sont-ils arrivés là ?

Sous investigation
Le 26 mai 2019, on apprend par la presse locale que la police brésilienne enquête sur le conseil d’administration de Cruzeiro, à la recherche de preuves sur des paiements suspects, des fausses déclarations, des falsifications de documents et des blanchiments d’argent. L’enquête semble liée à des plaintes indiquant une violation des règles de la FIFA, du CBF (confédération brésilienne de football) et du gouvernement fédéral. Malgré des titres récents, comme les deux dernières éditions de la Coupe du Brésil, ou l’augmentation du nombre de créanciers, Cruzeiro possédait plus de 500 millions de réais (l’équivalent d’un peu plus de 100 millions) de dettes.
L’enquête est basée sur un bilan analytique, qui montre les paiements effectués par Cruzeiro en 2018, auxquels Fantástico (un magazine d’information brésilien) avait également accès. Le rapport est allé plus loin et a obtenu près de 200 pages de contrats et de feuilles de calcul de contrôle interne. Il est prouvé que le conseil d’administration de Cruzeiro a enfreint les règles de la FIFA et de la CBF dans le domaine du football et du gouvernement fédéral par le biais de Profut, un programme de renégociation des dettes fiscales avec les clubs. Le cas le plus grave est l’accord de prêt, un prêt signé par Cruzeiro avec un homme d’affaires du nom de Cristiano Richard dos Santos Machado. Associé à des sociétés de location de voitures et d’équipements de protection individuelle, l’homme d’affaires n’aurait aucune expérience dans le sport du ballon rond. Le 1er mars 2018, il a pourtant signé un contrat dans lequel il a officialisé un prêt de 2 millions de réais pour Cruzeiro, payable en deux versements mensuels.
Un mois plus tard, le 3 avril, Cruzeiro signe un deuxième document avec Cristiano Richard. Le club affirme qu’il ne peut pas se permettre de rembourser le prêt et accepte de régler la dette avec la cession des droits sportifs : Cristiano Richard obtient soudainement des pourcentages sur les droits économiques de dix joueurs dans les catégories professionnelles et locales.

Dans la pratique, ces droits correspondent à l’amende de résiliation des contrats entre clubs et athlètes. Lorsqu’un joueur a été vendu par Cruzeiro à une autre équipe, par exemple, 5 à 20% de la valeur de transfert serait transférée à Cristiano Richard. Cependant, la pratique a été interdite par la FIFA en 2015. Seuls les clubs et les athlètes eux-mêmes peuvent depuis lors avoir des droits économiques – juridiquement similaires à ce qui était auparavant appelé un « pass ». Parmi les athlètes dont les pourcentages ont été donnés à Cristiano Richard en échange du prêt de 2 millions, se trouve Estevão Willian. Son anonymat n’est pas anodin pour le fan de football. En effet, connu dans les catégories de jeunes de Cruzeiro sous le nom de « Messinho », le garçon n’a que 12 ans. Il y a de grandes attentes concernant son football, à tel point qu’à cet âge, il a déjà un contrat avec Nike, en plus d’être géré par l’homme d’affaires et dirigeant du FC Barcelone André Cury depuis quelques mois. Cruzeiro ne pouvait pas donner des pourcentages du contrat d’Estevão à des tiers, d’abord parce que cette pratique est interdite par la FIFA, mais surtout parce que les joueurs potentiels ne peuvent signer leurs premiers contrats professionnels qu’à partir de 16 ans. Avant cela, les enfants et les adolescents peuvent tout au plus avoir des contrats de formation dans lesquels il n’y a aucun droit fédéral et économique. La vente de 20% de Messinho était donc illégale.

Pour ces violations des règles de la FIFA, Cruzeiro peut être interdit de transférer des joueurs et même d’enregistrer de nouveaux athlètes, selon l’avocat du sport Bichara Abidão Neto. Les sanctions disciplinaires pour la cession de droits patrimoniaux à des tiers, comme dans le cas de Cristiano Richard, commencent par un avertissement et une amende et peuvent être plus sévères en cas de récidive. Si ces fraudes semblent encore légères, elles ne sont qu’une infime partie des fraudes découvertes par l’enquête de la police brésilienne. Versements frauduleux par des sociétés tierces, contrats illégaux, paiements en noir… Le président Wagner Pires de Sã a beau se défendre et nier toute implication dans des procédés suspects, il est certain que la santé du club a été affectée par cette investigation survenue quelques jours après le début du Brasileirão (championnat brésilien).
Une dernière journée fatale
Après une défaite sur le terrain du Flamengo, Cruzeiro avait réussi à gagner deux matches consécutifs à domicile sans vraiment convaincre, avant d’enchaîner une série de onze matches sans victoire dont six défaites. La suite du championnat ne se présentait pas mieux. Au final, ce sont huit défaites (15 au total) qui s’ajoutaient au compteur, dont une série de cinq matches sans victoire avant le match décisif pour le maintien face à Palmeiras. Un désastre.
Revenons-en au 8 décembre 2019. Dans une ambiance tendue, les supporters entonnent les chants traditionnels du club. Plein d’espoir, on peut lire la détresse sur le visage des uns, la confiance sur le visage des autres qui ne peuvent pas imaginer Cruzeiro connaître une relégation. Le douzième homme joue son rôle à fond. Pourtant le premier danger vient de Palmeiras après seulement une minute et douze secondes de jeu. Les Célestes sont crispés, et savent qu’ils jouent gros ; ça se ressent dans les prises de décision et même dans le placement défensif des joueurs qui hésitent et semblent sans repère. Le deuxième avertissement des visiteurs arrive à la 16e minute quand Rafael trouve l’espace dans le dos de la défense et place un tir croisé, détourné en corner par Fábio, le gardien de Cruzeiro. Si Palmeiras semble bien supérieur aux locaux, ces derniers répondent quand même par une belle occasion manquée par Rocha le buteur local, après une belle combinaison. Mieux, le but marqué à la 39e minute par Botafogo dans le match qui l’oppose à Ceará fait exalter les supporters de Cruzeiro qui font comprendre à leurs joueurs que tout est encore possible. Les Célestes poussent mais n’arrivent pas à planter avant la mi-temps. Plus le temps passe, plus la foule s’agite dans les tribunes. Si certains continuent de chanter, d’autres mettent déjà les mains sur la tête. Et ce qui allait chambouler toute une population arrive à la 58e minute : sur un centre en retrait de Veiga, Zé Rafael reprend en un temps et met la balle au fond pour faire 0-1 et briser le cœurs de millions de fans. Les larmes coulent côté Cruzeiro, pendant que Ceará égalise sur penalty de son côté. De quoi réduire à néant tous les espoirs du club. Il reste 10 minutes avant que l’arbitre ne siffle les trois coups d’arrêts synonymes de relégation. Frustrés, on peut apercevoir un mouvement de foule et des supporteurs abattus qui ne trouvent rien d’autres à faire que d’arracher des sièges dans le stade pour les balancer en tribune et sur la pelouse, obligeant une première intervention de la police. Pour enfoncer le clou, Palmeiras mettra un deuxième but cinq minutes avant la fin du temps réglementaire qui aura le don d’agacer encore plus les fans des Célestes.

L’arbitre est forcé d’arrêter la partie, les forces de l’ordre sont forcées de tirer des grenades de désencerclement. Le spectacle est triste, et les images font ressentir toute la peine que peuvent avoir en eux les socios de Cruzeiro. Le match touche à sa fin et les violentes émeutes dans le stade obligent les policiers à procéder à une évacuation d’urgence. Les affrontements entre supporteurs et forces de l’ordre ont été prolongés à l’extérieur même du stade pendant de longues heures. La police a même arrêté trois auteurs de bombes artisanales déclenchées dans le stade. Le football et ses émotions… Une triste fin de saison pour un club presque centenaire qui n’avait jamais mis les pieds en division 2. Mano Menezes, Rogerio Ceni, Abel Brage et Adilson Batista, aucun de ces quatre entraîneurs passés sur le banc tout au long de la saison n’ont pu remettre l’équipe sur les bons rails. Si Cruzeiro faisait partie des quatre clubs ayant survécu jusqu’ici au Brasileirão, seuls Flamengo, Santos et São Paulo, peuvent encore affirmer n’avoir jamais été relégué dans le championnat inférieur.
Après cette débâcle, on espère que le club se relèvera de cette catastrophe. Pour le moment, l’heure est encore à la digestion à Belo Horizonte, où la pilule a du mal à passer. On peut déjà prédire que les années à venir ne seront pas de tout repos pour Cruzeiro, qui, s’il remonte en division 1, aura droit à toutes sortes de chambrage de la part des supporteurs des équipes survivantes de la division 1. Car oui, au Brésil et dans le monde entier, il existe très peu de club pouvant se vanter de n’avoir jamais posé bagages en D2. En Liga, par exemple, le Real Madrid et le Barca mais aussi l’Athletic Bilbao peuvent affirmer être indéboulonnables depuis leurs créations, tout comme l’Inter en Serie A ou l’Ajax, le PSV, Feyenoord et Utrecht en Eredivisie hollandaise.
Alexander Anderson